L’artiste masculin solo de l’année 2020, selon le magazine GQ, aux Etats-Unis, s’appelle Shawn Mendes: comme Ed Sheeran ou Justin Bieber avant lui, ce jeune canadien de 22 ans fait les frais d’un cadeau empoisonné pour l’industrie, susciter l’engouement de très jeunes filles. D’anciens membres de boys band ont eux aussi fait l’objet de quolibets désobligeants et travaillé à s’extirper de ce répertoire infamant, comme Justin Timberlake, ex du groupe NSYNC ou encore Harry Styles, rescapé de One Direction. Le phénomène ne date pas d’hier: en France, feu Christophe qui déchaîna jadis les foules avec son single Aline, a tout fait pour s’en émanciper. N’en déplaise aux aficionados, “les Beatles, les Rolling Stones, les Beach boys, Michael Jackson, Prince et même David Bowie à ses débuts, c’est quoi, à l’origine, sinon des chanteurs à minettes?”, interroge Basile Farkas, rédacteur en chef adjoint du magazine Rock & Folk. Pourquoi tant de haine?

 

Ecervelées vs mélomanes

Rembobinons: au tournant du XXème siècle, le terme “minette”, qui évoque autant un chaton inoffensif qu’un minerai de fer en Lorraine est un synonyme de “midinette”. Contraction de “midi” et “dinette”, le mot désigne celle qui fait, à l’époque, un petit repas le midi. Une catégorie de la population soupçonnée de mœurs légères: “Ce sont surtout des couturières, des jeunes femmes célibataires et employées qui aiment s’amuser”, explique Marie Buscatto, sociologue du genre et de la musique à l’Université Paris 1. Minette* ou midinette, le terme est resté, opposant désormais écervelées, d’un côté, et mélomanes érudits de l’autre.  

“La culture produit des garçons qui font rêver et les jeunes femmes fantasment en retour ces hommes séduisants.”

Jusqu’aux Trente Glorieuses, qui marquent en fanfare la fin de la guerre: l’émergence d’un nouveau marché adolescent s’inscrit dans l’essor de la musique pop et de la culture de masse, comme en témoigne chez nous le courant yéyé et son égérie choucroutée, Cloclo. “Depuis Elvis Presley, c’est une loi d’airain de la musique pop que de plaire aux enfants et de déplaire aux parents qui trouvent ça débile ou choquant”, contextualise Basile Farkas. L’essor de la pop est concomitant d’une libération des mœurs qui accompagne la naissance d’un public plus féminin et émancipé: “c’est un moment charnière, la culture produit des garçons qui font rêver et les jeunes femmes fantasment en retour ces hommes séduisants. Elvis a d’ailleurs eu des problèmes avec la censure, on considérait qu’il était trop érotique”, précise Marie Buscatto. Avoir (enfin!) le droit de s’exprimer en s’époumonant à l’unisson en public, voire tomber en pâmoison: on en retient surtout la mise en scène médiatique de cette mécanique corporelle féminine, l’exhibition impudique d’une passion dévorante. Les Beatlemaniaques, dites “knicker-wetting”, restent ainsi associées dans les esprits au mouillage de culottes: “Dans les images d’archives d’un concert au Shea Stadium [de New York en 1965], on n’entend même pas les Beatles. Ils avaient dû faire construire des amplis plus puissants tellement le bruit de la foule était incroyable”, précise Basile Farkas.

 

Mécanisme de dépréciation

Bénédiction commerciale, être adulé par des femmes suscite pourtant l’opprobre: “Classiquement, quand on veut délégitimer un art, une activité ou une personne, les placer du côté du féminin est une manière efficace de les dévaloriser. On serait ainsi fragile, passif, frivole ou sirupeux. Comme si la virtuosité, le génie et l’expression profonde ne se conjuguaient pas au féminin”, explique Marie Buscatto. Jugée indigne, la mise en musique des sentiments se voit taxée de mièvrerie et de sentimentalisme. Ce mécanisme de dépréciation vise, par l’intermédiaire du public qui les encense (à tort), la qualité des productions musicales. “Le jugement esthétique se fait à partir de la définition par le public, souvent de très jeunes filles qui rêvent grâce aux chansons. Derrière ce caractère objectif, il y a une dévalorisation: tel chanteur ne serait pas un vrai artiste, il n’a pas une vraie voix, ce qu’il raconte n’a aucun intérêt et sa musique se réduit à trois accords”, remarque Marie Buscatto. Les anciens boys band des années 60, Stones et Beatles compris, ont ainsi été couverts d’éloges sur le tard, lorsque de fins connaisseurs masculins y ont apposé leur cachet. 

Un mépris qui s’origine aussi dans une histoire sexiste de la culture des fans et des groupies: des rapports de pouvoir et de promiscuité dont témoignent le film Presque célèbre de Cameron Crowe (2000), ou les mémoires de Pamela Des Barres, fervent soutien des rockeurs les plus hirsutes de Californie. Longtemps figures monstrueuses d’une aliénation pathologique, selon le chercheur Christian le Bart, leur apport donne lieu aujourd’hui à une réévaluation tardive: pour Hannah Ewens, autrice de FANGIRLS: Scenes from Modern Music Culture, les “fangirls” jugées “hystériques” seraient en réalité dépositaires d’une réelle expertise. 

Clémentine Gallot

*A ne pas confondre avec les minets ou blousons dorés, modeux à mèche qui arpentent le Drugstore, sur les Champs-Elysées dans les sixties.


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