En mars 2020, juste avant le confinement, Noëmie Divet, 29 ans, quitte son travail de project manager pour se lancer à plein temps dans la création d’une friperie dédiée aux femmes à partir du 42. Un challenge quotidien mais nécessaire, qui fait déjà du bruit dans la fashion sphère. 

 

Qu’est-ce qui t’a donné envie de lancer La Grande Fripe? 

On fait régulièrement la tournée des friperies de notre ville avec ma soeur, qui est, elle aussi, grande taille. Bien souvent, c’est difficile de trouver des jolies choses adaptées à notre morphologie. J’ai passé une grande partie de mon adolescence à être complexée: je ne trouvais jamais mon bonheur pour m’habiller alors que les vêtements et la mode peuvent être une grande source de joie. Maintenant, ça va bien mieux et ça fait six ans que je m’habille exclusivement en seconde main, à la fois par goût mais aussi par conscience écologique. Mais je me suis rendu compte que sur les réseaux sociaux, les personnalités et influenceuses “curvy” promeuvent surtout des sites chinois et de la fast fashion. J’ai voulu proposer une alternative. Alors que les fripes en ligne classiques ont explosé ces dernières années, aucune n’était dédiée aux grandes tailles! Du coup, je me suis lancée via Instagram et Vinted. 

Pourquoi est-ce si difficile, selon toi, de trouver des vêtements vintage en grandes tailles? 

Déjà, le sizing a beaucoup évolué: il faut considérer que la taille affichée sur un vêtement vintage équivaut à deux, trois tailles de moins. Ce n’étaient pas les mêmes coupes, ni les mêmes matières -il y avait par exemple peu d’élasthanne. Et puis, avec nos habitudes de consommation qui ont changé, le fait qu’il n’y ait plus autant de privations alimentaires, les tailles se sont agrandies à mesure des époques. Mais il y a aussi un problème dans la mode actuelle en France, c’est celui de la grossophobie. De nombreuses marques s’arrêtent au 42, alors même que plus de 50% des Françaises font une taille supérieure! Et lorsque la taille existe, elle n’est pas forcément disponible en magasin. Si quelque chose n’existe pas sur le marché du neuf, comment pourrait-on le trouver en seconde main?

On parle beaucoup d’arrêter la fast fashion, de la pollution générée par la mode… Ce combat est-il encore trop peu inclusif?

Totalement! Même la mode éthique n’est pas forcément inclusive, car faire une taille de plus implique beaucoup de coûts de fabrication supplémentaire… Autant dire que nous n’avons pas beaucoup d’options pour nous habiller en dehors de la fast fashion lorsqu’on fait une grande taille. Même Vinted, qui est leader sur le marché de la seconde main, s’arrête au 58 – et encore, une très large majorité d’articles proposés taille en 38/40. Déjà que ça demande du temps de passer à la seconde main, mais alors quand on est “grande taille”, c’est la double peine car c’est difficile de se fier aux tailles, il faut à chaque fois prendre les mesures, etc. Et de manière générale, même si je promeus la seconde main, je pense qu’il est nécessaire de ne pas culpabiliser celles et ceux qui, pour diverses raisons, n’ont pas d’autre choix que de s’habiller dans les grandes enseignes discount. 

 

 
 
 
 
 
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Mais alors, où est-ce que tu trouves les vêtements que tu proposes? 

Je cherche beaucoup, et longtemps! Parfois, j’ai de la chance et je tombe dessus par hasard, comme lors d’un vide-maison en Bretagne il y a quelques semaines où j’ai trouvé des pépites en 50/52. J’ai aussi développé mon réseau familial, avec ma mère et mes soeurs, elles aussi fans de fripes, qui me trouvent régulièrement des pièces. Je commence à avoir un petit stock, environ 200, 300 vêtements. Mais je sais que quand je vais me développer et que mon stock va s’écouler, ça risque d’être difficile de me renouveler et d’avoir de la quantité. C’est pourquoi j’ai aussi mis en place un système de dépôt-vente avec mes abonné·e·s. 

Comment fais-tu pour fixer tes prix, qui doivent prendre en compte le temps passé à chiner, tout en évitant de stigmatiser les grandes tailles? 

J’ai eu un retour une fois d’une personne qui m’a dit que les prix n’étaient pas accessibles. Alors je me suis posé la question. Pour fixer mes prix, j’essaie de faire la moyenne entre ce que je vois, les prix pour un article équivalent du neuf, et le temps que j’y ai passé -que ce soit pour trouver le vêtement, le laver, le rapiécer, faire les photos… Mais pour l’instant, je ne me suis pas attribuée une marge fixe. Les personnes grosses sont déjà suffisamment stigmatisées dans la société et dans la mode pour ne pas avoir à subir sur le portefeuille leur morphologie. Rester abordable est primordial pour moi; surtout quand on sait à quel point le poids est un facteur discriminant à l’embauche. 

Tu es intervenue dans un live Instagram du compte de l’ONG Fashion Revolution France. Te considères-tu comme une activiste? 

Oui car avec La Grande Fripe, je soulève deux tabous. Déjà, celui de la seconde main. Si un certain milieu, bobo, parisien, va trouver ça cool de s’habiller en fripes et d’être écolo, pour toute une frange de la population, s’habiller avec des vêtements déjà portés reste honteux. Et puis il y a bien sûr celui des corps gros et de la mode, qu’on a déjà évoqué. Mon positionnement de base est double: je me revendique éco-féministe, La Grande Fripe est à la fois anti-fast fashion et pour la visibilité de corps moins normés. Cela passe par des petites choses, comme ne pas retoucher mes photos, et des engagements plus importants, qui changent réellement les choses. Par exemple, j’ai déjà eu une petite victoire. Le site CrushON, plateforme de vente pour les fripes en ligne, ne permettait de rechercher des vêtements que jusqu’à la taille 44. Je leur ai demandé d’augmenter les tailles l’été dernier, et ils ont ajouté le 46. C’est encore insuffisant, car lorsqu’on recherche une taille 50, on va tomber sur des jeans Levis 501… C’est décourageant pour les grandes tailles. Je compte donc réitérer ma demande, pour que les choses changent, doucement, mais sûrement. 

 

 
 
 
 
 
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Quels conseils donnerais-tu à nos lectrices qui peinent à trouver leur bonheur en seconde main? 

Déjà, il ne faut pas hésiter à se renseigner sur Internet avant d’aller en boutique, ni à appeler les friperies pour demander si elles font des grandes tailles. En général, elles savent dire si elles ont du stock, et ça évitera bien des déceptions et des découragements. Ensuite, il faut mettre des vêtements conforts, faciles à changer: la règle d’or, c’est de toujours essayer! Les tailles et coupes ne sont pas les mêmes en fonction de l’année de fabrication du vêtement. On peut aussi s’armer d’un mètre de couturier pour mesurer les vêtements dans lesquels ont se sent bien et comparer ceux sur lesquels on flashe. Dans la friperie, on regarde partout: dans le rayon femme, le rayon homme, même le rayon draps! Il y a pléthore de tutos couture dispos en ligne maintenant, et on peut tomber amoureuse de l’imprimé d’un drap qui fera une super robe, par exemple. Mais surtout, je le répète, il ne faut pas se fier aux tailles, et encore moins se formaliser si l’on doit prendre un vêtement deux, trois tailles au dessus de celle que l’on fait d’habitude. 

Propos recueillis par Noémie Leclercq 


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