La nouvelle série Starzplay nous emmène en 1955, époque à laquelle le désir des femmes était inconcevable, les sexualités alternatives tabou et Anaïs Nin, une autrice méconnue. Little Birds, adaptation du recueil de nouvelles érotiques du même nom d’Anaïs Nin, raconte l’éveil érotique d’une jeune débutante new-yorkaise fraîchement débarquée à Tanger. Dans cette ville marocaine sous protectorat français, Européen·ne·s et Nord-Américain·e·s à la recherche de liberté se retrouvent. Fétichisme, homosexualité, soirées débridées, objectivation des hommes: tout y est possible. Y compris pour les femmes.

 

 

Les femmes aussi aiment le sexe

Quand la jeune New-Yorkaise Lucy Savage (Juno Temple) arrive à Tanger, elle est bien loin d’imaginer à quel point sa vie va changer. Son bel époux, un Anglais rencontré en vacances, se révèle froid et pas pressé de consommer le mariage -normal, il est secrètement gay et en couple avec un aristocrate égyptien. Mais heureusement, elle rencontre une succession de femmes toutes plus fascinantes et attirantes les unes que les autres. Il y a la riche Contessa Mandrax (Rossy de Palma), la star à l’esprit libre Lili von X (Nina Sosanya) et la dominatrice provocante Cherifa Lamor (Yumna Marwan). A leur contact, Lucy va apprendre à écouter son désir et à se libérer des carcans. Ensemble, ces femmes vont affirmer leur contrôle sur leur vie. Little Birds teinte avec succès ce récit d’émancipation hédoniste d’intrigues politiques, entre ventes d’armes et répression sanguinaire du nationalisme marocain par le pouvoir français. Si l’on peut regretter que les personnages arabophones, tout comme les francophones, parlent anglais entre eux -une critique du colonialisme méritait un regard moins occidental-, celles et ceux qui recherchent du “female gaze” seront ravi·e·s. La série, écrite par Sophia Al-Maria et réalisée par Stacie Passon, nous plonge dans un monde à part, rétro, coloré et fantastique, tout droit sorti d’un imaginaire féminin. Plus érotique que sexuel, Little Birds réussit à retranscrire l’éveil sexuel, les sens qui s’agitent, les fantasmes, le désir et l’espoir.

“En laissant aussi la place à des personnages masculins, la série rappelle que ces normes patriarcales nuisent à tout le monde, y compris aux hommes.”

La genèse du désir féminin moderne

Little Birds prend place à une période fascinante de l’histoire moderne: les années 50. La seconde guerre mondiale a mis fin à l’émancipation sexuelle qui a marqué les années folles. Les médias véhiculent des normes aussi sexistes qu’étouffantes et veulent faire oublier la diversité du désir sexuel qu’avaient commencé à mettre en avant les premiers sexologues. La libido des femmes n’a plus sa place. Lucy Savage en sait quelque chose. Dès la première scène de Little Birds, nous découvrons que son père l’a fait interner et médicamenter pour faire disparaître ses “désirs problématiques”. En vain. En laissant aussi la place à des personnages masculins, la série rappelle que ces normes patriarcales nuisent à tout le monde, y compris aux hommes. Dans la série, ils se trouvent obligés de vivre leurs désirs non conformes dans la honte et sont victimes d’humiliations et de violences sexuelles de la part de riches veuves et héritières qui imitent le jeu de pouvoir des hommes.

 

Little Birds © Sky Atlantic

© Sky Atlantic

Une célébration d’Anaïs Nin 

Anaïs Nin s’est toujours opposée à ce que les femmes agissent comme les hommes. Pour l’autrice franco-cubaine née en 1903, les femmes devaient tracer leur propre chemin, trouver leur propre identité. Plutôt que de taire la sexualité féminine, comme le faisaient certaines féministes de l’époque, elle la faisait exister. Dans ses oeuvres, elle abordait aussi bien les avortements illégaux, que les relations extra-conjugales et l’inceste, sans jamais juger ses personnages féminins. Et cela lui a coûté cher. L’écrivaine a été tour à tour célébrée puis conspuée, comme l’explique The Guardian. Pendant des décennies, son travail, qu’elle a dû auto-publier, maniant elle-même la presse à imprimer, a été ignoré ou moqué. Dans les cercles littéraires de New York et Paris, elle était surtout connue pour sa personnalité et sa propension à financer d’autres auteurs, notamment Henry Miller avec qui elle a eu une relation. Il aura fallut attendre la publication de ses journaux intimes en 1966, quand elle avait 63 ans, pour qu’elle connaisse le succès. Mais son élévation au rang d’icône féministe ne durera qu’un temps. Après sa mort, ses nouvelles érotiques, dont Little Birds, sont publiées… et l’icône féministe devient la victime d’une vague de slutshaming. Aux yeux du grand public, elle n’est alors plus qu’une femme adultère qui entretient ses amants avec l’argent de son mari, une déviante qui a eu une relation avec son père, une pornographe narcissique qui manipule les hommes. Depuis quelques années, la revoilà portée aux nues. La société semble enfin prête pour son appel à la l’émancipation sexuelle des femmes. 

Aline Mayard 


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