3h du mat j’me réveille / La tension est trop mmh / Je m’imagine ton corps / Je me sens mmh / Je dévore ta peau /Je te mords un peu trop / Oh”: sur ces quelques vers en introduction de son nouveau single, Sur ton corps, Joanna chante la montée du désir. Chaque mot, chaque inflexion de voix, semble accompagnée d’un pincement de la lèvre inférieure. Le plaisir à portée d’oreille. Ses pensées érotiques transpirent de presque toutes ses chansons. “Mes premiers émois amoureux m’ont réveillée, je me suis sentie vivante, dit-elle. Je ne parle pas nécessairement de sexe, mais de ce qu’on ressent quand on est amoureux, quand on est attiré·e par quelqu’un, quand on se sent désiré·e. C’est une vraie source d’adrénaline.” Son tout premier single, Séduction, chatouillait le fantasme d’un corps-à-corps charnel avec une autre femme, la prose ouvertement cash. Et quand elle parlait de solitude, sur le morceau du même nom, c’était aussi sur le ton de la relation charnelle, le sentiment d’isolement avide et tentaculaire comparé à la libido débordante d’un amant un peu trop pressant. Là où Viseur capturait le fantasme de son meilleur rapport sexuel.

 

Classée X, Joanna l’est sans équivoque dans les paroles de Sur ton corps, même si le sexe, l’organe, n’est pas nommé: “Je veux prendre ton plaisir / Comme un trésor / Tes soupirs m’inspirent / Les plus beaux décors /Je glisse mes doigts sur ta mmh / Et t’en veux encore / Laisse-moi te chérir / Te sentir éclore.” Joanna choisit la diversité sexuelle et de genre. “Je voulais parler de l’acte sexuel en lui-même sans être excluante”, justifie-t-elle. Le verbe est imagé et le clip joint le geste à la parole. Joanna fait appel au couple porno amateur LeoLulu et filme leurs ébats. “Ils connaissaient mes chansons pour avoir déjà fait l’amour dessus, sourit-elle. Ça me paraissait complètement naturel d’illustrer cette chanson qui parle de sexe explicite par une vraie baise.” Plus que de la provoc, c’est l’ambition qui a orienté son choix. Après Démons, son dernier clip en date réalisé par Marius Gonzalez, un court-métrage ambitieux, elle se devait de faire mieux. “Plus qu’un gros clip, j’ai misé sur un gros concept”, lance-t-elle, sans sourciller.

 

Du vrai sexe dans un clip

Joanna crée la surprise en faisant la promo de son clip sur le site pornographique Pornhub qui multiplie depuis quelques années les initiatives pop -avec Kanye West en DA des Pornhub Awards par exemple. Seul un précédent fait acte. En 2016, Vald publie trois versions de son clip Selfie, dont la plus explicite se retrouve sur le tube. Le rappeur joue les voyeurs amusés devant la partie de jambes en l’air des pornstars Nikita Bellucci et Ian Scott. Sous couvert d’ironie, la mise en scène, pénétrocentrée, montre la femme prise dans tous les sens par le mâle puissant, la violence verbale des paroles conjuguée à la violence physique de l’acte sexuel. Joanna n’a (évidemment) pas la même approche. “L’homme n’est pas le protagoniste de la vidéo, résume Claudia Attimonelli, sémiologue et autrice du livre Pornoculture. Voyage au bout de la chair, coécrit avec Vincenzo Susca (2017).  Il est un outil. Ce n’est pas le macho. Il y a du romantisme, du lyrisme, de la poésie. C’est porno parce qu’il y a pénétration, mais il n’y pas d’images fortes. Ce sont des créatures angéliques, qui font du porno soft, ce qui en fait une œuvre d’art en soi. Néanmoins, c’est le geste qui est très fort, surtout de la part d’une femme.

 

Joanna, qui signe le clip avec Ambrr, une amie de son ancien lycée rennais, réalise que leur regard s’est porté sur des détails qui en disent long. “Le moment où Leo met le doigt dans la bouche de son partenaire, Lulu, suivi d’un plan où on le voit inspirer profondément, c’est typiquement ce qu’on ne voit jamais dans un porno, un homme qui prend du plaisir sans dominer!”, souligne-t-elle fièrement. Joanna déconstruit l’esthétique patriarcale de la pornoculture. Là où Cardi B et Meghan Thee Stalion dans le clip de WAP (Wet Ass Pussy ou Women Against Patriarchy) adoptent le même langage pour se faire comprendre. In fine, l’objectif est le même, s’y opposer. “Cardi B, Summer Walker, Doja Cat n’ont pas fait de clips porno mais il y a du sexe cru dans leurs lyrics, remarque Ser Lait, monteuse pornographique et rédactrice pour le site spécialiste de la culture porno Le Tag Parfait. Suggérer, c’est bien, mais à certains moments, tu as besoin de plus! Comme illustrer ta musique avec du vrai sexe. Joanna a osé mettre des images sur ses envies, sa sexualité, et c’est courageux.

 

Pornification du quotidien

Que l’imagerie porn contamine la pop culture n’est pas nouveau, mais Joanna nous en offre une version non censurée. Le “triomphe d’une orgie permanente” qui transpire de tous les aspects de notre société, résume Claudia Attimonelli. Le porno est partout, il est accessible, des tubes (Pornhub, YouPorn, xHamster) à Instagram, en passant par TikTok. “Joanna a 22 ans et sa génération est habituée à se montrer, explique cette dernière. Tout a commencé dans les années 80 avec l’ambiguïté de l’esthétique fétichiste dans les clips de Madonna ou Guesch Patti, qui ont déconstruit l’image érotique de la femme. Avec le web 2.0, cette esthétique s’est répandue, et toutes les plateformes où l’on peut échanger des images n’ont fait qu’amplifier une ambiance déjà lourde de porno, c’est-à-dire des corps en scène, dans une infinité de possibilités et d’esthétiques. En cela c’est positif, car c’est l’ouverture à l’émancipation féminine. La pornification du quotidien est aujourd’hui renforcée par la pandémie, le porno devenant une consolation à la distanciation physique qu’elle impose.

Puisque le sexe est partout, parlons-en.

Le regard est de plus en plus avide du corps en scène et obscène”, poursuit Claudia Attimonelli. C’est l’avènement du porno prêt à consommer. L’écriture tombe. Le porno devient entièrement visuel, se concentre sur qu’on veut voir en un temps record, et se rapproche en cela du format clip. “Puisque le sexe est partout, parlons-en, milite Joanna, dont l’initiative est soutenue par le STRASS, le syndicat des travailleur·se·s du sexe. Se servir du mainstream pour proposer un contenu qui n’est pas mainstream, et ainsi éveiller les consciences.” À la critique d’un univers trop phallocentré, Joanna répond qu’elle n’a pas voulu trahir “leur manière de baiser” et reconnaît être habitée par la question des injonctions qui pèsent sur la sexualité hétéro. À sa manière, elle est le visage d’un mouvement sans précédent de la pop porn culture et son hypersexualisation.

Alexandra Dumont 


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