Manon le crie haut et fort: elle est féministe. “C’est un engagement de tous les jours, dans ma vie professionnelle ou privée”, assure cette juriste de 28 ans. Manon participe à toutes les manifestations féministes, lit Alice Coffin, Pauline Harmange ou Mona Chollet, s’est battue dès son premier entretien d’embauche pour obtenir le même salaire que ses collègues masculins… Et pourtant, la jeune femme le reconnaît du bout des lèvres, elle adhère malgré elle à certains stéréotypes de genre qu’elle ne parvient toujours pas à évacuer. “Je suis incapable de sortir ou simplement d’être attirée par un mec plus petit que moi. C’est un tue-l’amour instantané pour moi, aussi séduisant, intelligent ou drôle soit-il, confie Manon. Ça me rend folle, car je sais au fond de moi que cela répond à une imagerie sexiste, celle ou l’homme protège, couve, rassure et donc domine la femme, mais malgré cela, je n’arrive pas à passer outre.” 

Manon n’est pas la seule jeune femme hétérosexuelle se revendiquant féministe aux prises avec certains clichés. Lisa, 24 ans, étudiante en histoire, confie ne pas supporter que son compagnon ait moins d’appétit qu’elle: “J’ai l’impression d’être une ogresse quand je mange plus que lui, du coup s’il a fini de manger, je ne me ressers pas, même si j’ai encore faim. C’est totalement stupide, je sais bien, mais c’est ancré en moi depuis l’adolescence. J’ai consulté pour savoir si cela relevait du trouble alimentaire, mais au final, il s’agit simplement d’un stéréotype selon lequel le corps féminin se doit de demeurer plus frêle que le masculin, et que je n’arrive pas à déconstruire.” Et pour cause, la déconstruction des normes genrées héritées d’un patriarcat millénaire ne se fait pas sans peine. La tâche est d’autant plus ardue lorsqu’elle implique de questionner en profondeur ses goûts et préférences personnelles pour les mettre à l’épreuve du sexisme ordinaire. Aimer les grands, les poilus ou les musclés relève-t-il d’une attirance physique propre à chacune ou d’une construction sociale éculée? “J’aime les hommes taiseux, confie Lisa. Mais comment savoir si je reproduis bêtement un schéma de genre selon lequel les hommes sont moins démonstratifs et parlent moins facilement de leurs sentiments, ou si je suis sincèrement attirée par ce trait de caractère?

 

Le produit d’une  société partriarcale

Pour Céline Bessière et Sibylle Gollac, autrices de l’ouvrage Le Genre du capital, les préférences personnelles ne font pas le poids face à l’intégration depuis le plus jeune âge de stéréotypes genrés: “La sociologie montre combien les schèmes de perception amoureux des hommes et des femmes, sont façonnés par des normes sociales acquises tout au long de l’enfance et de l’adolescence. Notamment pour les femmes, dans la mesure où la position sociale du futur couple est largement déterminée par celle de l’homme dans une société patriarcale: d’avoir un conjoint mature, responsable, qui gagne bien sa vie, protecteur, rassurant… donc les préférences personnelles sont largement façonnées par les normes sociales”, expliquent les sociologues en citant notamment l’enquête de 2006 La Formation du couple, de Michel Bozon et François Héran, étude reprenant des résultats de l’INED sur la formation des couples dans les années 1980-1990. “Cela date un peu, mais l’essentiel des résultats restent valables: notamment que les femmes sont attirées par des hommes plus âgés et plus grands qu’elles, ce que Bozon analyse comme un consentement à la domination masculine.” 

Plus récemment, dans Les Nouvelles lois de l’amour, sexualité, couple et rencontres au temps du numérique, paru en 2019, Marie Bergström montre que ces critères individuels du partenaire sexuel désirable sont façonnés par les rapports de genre et de classe. “Son enquête a porté sur l’application de rencontre Meetic, expliquent Céline Bessière et Sibylle Gollac, les lieux de rencontre ont changé, mais les critères évoluent peu: les femmes désirent davantage des hommes plus âgés qu’elles, plus grands, diplômés, avec une profession… On peut dire que le fait même de se définir comme hétérosexuelle, de rechercher des partenaires hommes cisgenre est le produit de la société patriarcale comme le montrent les travaux de Monique Wittig avec La Pensée straight.

 

Bad feminist 

L’acceptation bon gré mal gré d’une certaine domination masculine dans les relations hétérosexuelles, Anaïs, 29 ans la reconnaît. Elle laisse systématiquement son copain gérer les moments de tension. “S’il faut se plaindre ou hausser la voix auprès d’un·e commerçant·e parce qu’un produit n’est pas conforme à nos attentes ou face à un·e voisin·e qui fait trop de bruit par exemple, je laisse faire Simon”, confie la jeune femme qui envoie depuis trois ans son compagnon aux réunions de copropriété alors même qu’ils habitent dans son propre appartement. “Avant d’être en couple, je n’y allais quasiment jamais, et depuis, c’est lui qui s’y colle. Je me sens moins légitime à pousser un coup de gueule en cas de besoin, je me dis que mes mots auront moins de poids. Je déteste cette sensation de ‘faire partie du problème’ en reproduisant moi-même des stéréotypes qui m’exaspèrent”, explique Anaïs qui avoue culpabiliser et se sentir “une mauvaise féministe”. Elle assure d’ailleurs s’être beaucoup retrouvée dans le livre Bad Feminist de Roxane Gay. 

C’est épuisant de lutter en permanence contre la société et l’héritage du patriarcat, révèle Anaïs. Parfois j’ai juste envie de laisser tomber, de ne plus réfléchir aux normes genrées, de ne plus chercher à m’éduquer ou à continuer ma déconstruction. Et puis ensuite je me reprends, je me dis simplement que je suis humaine, que tout le monde a ses contradictions et que cela ne m’ôte pas le droit de participer au combat pour l’égalité.” 

Audrey Renault 


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