Matilde de los Milagros, 32 ans, et Ita Maria, 37 ans, se sont connues lors d’un sitting Plaza Bolivar à Bogota, en 2018, pour exiger la légalisation du droit à l’avortement dans leur pays. Ce jour-là, c’est aussi le tout premier rassemblement du collectif alors naissant de Las Viejas Verdes (Ndlr: “Les meufs en vert” en référence au foulard vert qui symbolise la lutte pour le droit à l’avortement en Amérique latine). Ce groupe s’inspire des pratiques des féministes argentines où l’avortement a enfin été légalisé le 30 décembre dernier. Pour de nombreux pays du continent -où les disparités en ce qui concerne l’IVG sont très nombreuses- l’Argentine fait figure d’exemple. En effet, à l’heure actuelle, seuls quelques États latino-américains (l’Argentine, Cuba, Guyana, l’Uruguay, la ville de Mexico et l’État de Oaxaca au Mexique) autorisent l’IVG. La Colombie fait partie des pays où celle-ci est autorisée seulement en cas de détresse psychologique de la mère, de fœtus non viable ou de viol. Aujourd’hui, les deux amies, en plus de militer avec las Viejas Verdes, sont également aux manettes du magazine en ligne Volcanicas qui traite des enjeux féministes sur le continent latino-américain. Rencontre. 

Ita Maria et Matilde de los Milagros du collectif Las Viejas Verdes, DR

 

Comment vous êtes-vous retrouvées toutes les deux membres de Las Viejas Verdes?

Matilde de los Milagros: Nous avons rejoint las Viejas Verdes suite à l’appel lancé par une féministe colombienne, Catalina Ruiz-Navarro, installée au Mexique. Fin 2018, Catalina convoque quelques unes de ses amies dont le point commun est d’être des influenceuses. Ita Maria travaille alors dans la mode et moi je suis rédactrice freelance. L’idée de Catalina vient du fait que nous bénéficions toutes de nombreux followers sur nos réseaux sociaux, ce qui nous permet de publier à grande échelle sur la dépénalisation de l’avortement. Car l’IVG reste un sujet tabou en Colombie et peu présent dans la sphère médiatique.

Ita Maria: L’idée de Catalina était de faire circuler l’information sur le droit à l’avortement car en réalité, légalement, on peut avorter en Colombie. Mais tout est fait pour que l’information n’arrive pas, que tout soit très compliqué, que tout prenne du temps et donc que les femmes se découragent. Il y a de nombreuses restrictions morales, religieuses et politiques.

Quel rôle vient jouer ce collectif ?

IM: Las Viejas Verdes a été pensé comme une communauté digitale pour diffuser au maximum l’information. Rien n’est nouveau mais nous avons remarqué qu’il y avait comme un vide dans la façon dont les choses étaient communiquées vers une certaine audience, notamment les millennials ou les centennials et Las Viejas Verdes sont très présentes sur Instagram. Nous avons senti une absence de narration à destination de la jeunesse que nous connaissons bien toutes les deux, grâce à nos activités respectives.

 

 
 
 
 
 
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MM: Cette communauté, à l’origine numérique, s’est également transformée en un groupe qui se réunit quand cela devient nécessaire pour des manifestations ou des sit-in. Les femmes qui nous contactent sont essentiellement d’origine urbaine mais nous recevons de plus en plus de messages des zones rurales du pays, nous demandant de l’aide pour avorter. On a donc pu constater que la présence d’Internet sur le territoire colombien était plutôt importante et on est en contact avec des femmes de tout le pays, de toutes origines sociales. Si nécessaire, on les renvoie vers des lieux où elles peuvent se rendre pour les procédures. On construit des ponts finalement.

Diriez-vous que vous faites partie d’un militantisme latino-américain?

IM: Las Viejas Verdes sont nées d’une articulation latino-américaine. Catalina Ruiz-Navarro a mis en place un réseau féministe important entre le Mexique, où elle réside, et l’Amérique Centrale. Tandis que Maria del Mar Ramon, autre membre du collectif, est installée en Argentine. Donc, depuis la naissance de Las Viejas Verdes, nous sommes en contact avec d’autres féministes de la région et nous nous sommes inspirées du ton qu’utilisaient les Argentines sur le sujet de l’avortement. Par exemple, Maria del Mar nous a expliqué que là-bas, des actrices ou des figures de la culture populaire du pays s’étaient approprié la question: elles portent des foulards verts sur les tapis rouges par exemple et traitent des débats féministes dans leur sphère privée, à travers leurs réseaux sociaux notamment. On a donc décidé de faire la même chose ici. Et la récente légalisation de l’avortement en Argentine nous motive bien évidemment.

MM: Je crois que le succès argentin vient des réseaux tissés par des avocates, politiciennes et activistes féministes. Ce n’est pas encore le cas en Colombie qui est un pays très conservateur, très à droite et très religieux. Tout cela a mis un frein aux avancées de la société mais les réseaux sociaux permettent de connecter tant de personnes différentes que j’ai le sentiment que l’on a quand même pu faire quelques pas en avant ces derniers temps.

 

 
 
 
 
 
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Comment fait-on, lorsqu’on est une femme privilégiée latino-américaine, pour se déclarer féministe?

MM: Me définir féministe a été un acte de libération presque révolutionnaire et j’ai enfin pu me sentir responsable de moi-même. Mais je me sens aussi responsable d’autres femmes qui n’ont pas les mêmes privilèges que moi dans la vie. Car je sais qu’une grande part de ma liberté vient de mon statut social. Le féminisme dans mon cas personnel s’est accompagné de beaucoup de ruptures car le fait que je me déclare féministe a beaucoup dérangé dans mon entourage, si traditionnel.

IM: Moi je viens d’un milieu professionnel très hostile au féminisme où l’on parle encore de girl power et d’émancipation! Je sais qu’en ce qui concerne l’avortement, quelle que soit la sphère sociale d’où tu viens ici, tu dois affronter de nombreux obstacles.

L’Amérique latine est un continent très inégalitaire. La révolution féministe doit-elle passer par les classes sociales les plus aisées?

MM: Le pouvoir appartient aux classes aisées latino-américaines donc c’est à nous de mettre en avant cette inégalité et de lutter contre elle. Devenir féministe m’a aidée à comprendre la structure d’où je viens et de faire une lecture politique de ma vie. Et je crois profondément que l’avortement est la porte d’entrée pour de nombreuses autres discussions sur le féminisme.

Propos recueillis par Margot Loizillon, à Bogota


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