Dans les coulisses du récent festival des Eurockéennes de Belfort, on a surpris ce moment étonnant. Attablés en équipe élargie, les membres d’Arcade Fire se sont mis à hurler, comme un mantra, plusieurs fois de suite, une phrase qui pourrait être leur devise : “The devil lies in the details !” Effectivement, c’est dans les détails que se cachent les diableries de Everything Now, le cinquième album des Montréalais. C’est dans cette profusion de petits riens que l’on mesure l’ampleur et la démesure de ce chantier de trois ans. La simplicité d’apparence est le fruit d’une âpre négociation. Il faut d’abord accumuler des pistes et des idées pour ensuite en extraire, par élimination ou par soustraction, des mélodies claires et fraîches, comme celles de Put Your Money on Me ou Everything Now.

Besoin de distance

Clairement, il existe désormais deux Arcade Fire : le premier, studieux, maniaque, adepte des discussions épiques et des enregistrements savants, vit en studio. Le second, explosif, physique, sauvage et dansant, s’épanouit sur scène. Le premier est plutôt intellectuel, versé dans le concept ; le second est fonceur, animal. Le premier fournit au second la matière fraîche qui rend les concerts si éloignés de toute routine, toute raison. En échange, le second offre au premier ses envolées tempétueuses, ses dynamiques et sa sève affolée. Le groupe procède ainsi par cycles extrêmes : le repos du guerrier ne fait pas vraiment partie du patois d’Arcade Fire.

Pour tenir éloigné le spectre angoissant de l’ennui et du savoir-faire, le groupe a eu la bonne idée, sur ses deux derniers albums (Reflektor sorti en 2013, Everything Now ce mois-ci), d’injecter des corps étrangers dans son sang pourtant tourbillonnant. James Murphy, de LCD Soundsystem, était venu superviser Reflektor. Thomas Bangalter (Daft Punk), très impliqué jusqu’à participer aux sessions parisiennes, mais aussi Geoff Barrow (Portishead), ou Steve Mackey (Pulp) ont veillé sur la longue maturation du petit dernier. Non que le groupe de Montréal ait besoin de producteur – les six membres, on en est certains, pourraient s’acquitter seuls des tâches strictement techniques de l’enregistrement et de la suite. Si Arcade Fire fait appel à ces regards neufs, à ces oreilles amies, à leur approche plus conceptuelle que prosaïque, c’est que le groupe a besoin de distance, d’élévation, d’arbitrage neutre.

Ni James Murphy, ni Thomas Bangalter, ni les autres, n’ont réellement mis les mains dans le cambouis . Mais leur influence est fondamentale, car ils ont tranché dans des discussions homériques, des désaccords inextricables. Win Butler, le leader du groupe, et son frangin Will ont passé trop de temps dans leur jeunesse à écouter les Talking Heads pour ne pas se souvenir à quel point Brian Eno et ses théories avaient revitalisé les New-Yorkais avec leur intouchable Remain in Light.

Entre euphorie et mélancolie

L’apport de Thomas Bangalter est plus écrasant, quoique moins évident en surface, que sur le récent Overnight des Parcels, morceau déjà daftpunkien en soi. Il est venu avec ses distorsions, son sens de l’espace – spécialités des Français casqués –, et a exacerbé un des traits constants de la musique des Montréalais : cet équilibre infernal entre euphorie et mélancolie, exaltation physique et onirisme. Win Butler n’a pas oublié la musique de son enfance, du spleen des Smiths jusqu’aux déflagrations des Pixies. Et, en toute perversité, il impose des paroles cafardeuses à des mélodies disco et rieuses, comme un traquenard. Il en ricane quand on lui en parle, évoquant à la rescousse un groupe aussi sombre que The Cure, qui a réussi à faire danser une génération entière avec la mélodie traître et rieuse de The Lovecats.

Car ainsi va, du funk massif de Signs of Life au bowiesque Electric Blue, ce cinquième album d’Arcade Fire : un pied sur le dance-floor multicolore, l’autre dans les idées noires, comme résumé par le pétaradant et dépressif Creature Comfort. Personne ne sera étonné d’apprendre que cette monstrueuse créature de la nuit a été principalement conçue à La Nouvelle- Orléans, alors agitée des spasmes de mardi gras.


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