Parce que le baby-foot c’est cool, mais le droit du travail c’est encore mieux.” La punchline du compte @balancetastartup a fait mouche. Malgré ses deux mois d’existence, il totalise déjà plus de 160 000 abonné·e·s et sa créatrice se dit “dépassée” par le nombre de témoignages qui affluent sur sa messagerie. Surtout depuis l’affaire Lõu.Yetu, marque de bijoux populaire qui s’est retrouvée dans la tourmente après avoir été affichée sur le compte. De nombreuses dénonciations pointaient un management toxique assorti d’un storytelling mensonger (des produits soi-disant made in France qui proviendraient en réalité de fournisseurs en Asie). Et elle n’est pas la seule: plusieurs succès de la French Tech comme Swile, Lydia et Doctolib ont aussi été épinglés pour leurs pratiques en interne qui tranchent souvent avec l’image qu’ils renvoient à l’extérieur. Mais au-delà de “balancer” -un verbe dans l’air du temps à en croire l’éclosion d’initiatives similaires récentes, de @balancetaredaction à @balancetonagency en passant par @balancetamaison-, ce compte se veut un espace de libération de la parole et d’entraide pour tous·tes celleux qui font les frais de ces pratiques peu reluisantes. La fondatrice du compte, qui préfère rester anonyme, a accepté de répondre à nos questions. Interview.

 

 
 
 
 
 
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Qu’est-ce qui t’a motivée à lancer ce compte? 

J’ai plus de 30 ans aujourd’hui et j’ai principalement évolué en start-up mais j’avais aussi eu l’occasion de travailler dans des agences de pub et des grosses entreprises, donc j’avais une vision assez variée du monde du travail. Pendant mes expériences en start-up, j’ai été témoin et parfois victime de choses qui étaient déplacées, qui ne respectaient pas le droit du travail. J’avais l’impression que les salarié·e·s y étaient encore moins respecté·e·s et protégé·e·s que dans les grandes structures. Dans mon entourage, j’ai plusieurs ami·e·s qui se sont retrouvé·e·s dans des situations de détresse. Je sentais qu’il y avait un vrai problème et que ce n’était pas propre à une ou deux boîtes.

Que reflète l’afflux de témoignages que tu reçois tous les jours, selon toi? 

Je ne m’attendais pas à ce que le compte prenne autant d’ampleur rapidement! Je pense qu’il y avait vraiment besoin d’un espace d’expression sur ce sujet. Beaucoup de gens me remercient en me disant “je me sentais seul·e, je me demandais si j’avais un problème d’aussi mal vivre le fait de devoir être disponible tous les soirs et le week-end”… Aujourd’hui, ils se rendent compte que non, ce n’est pas normal. Il y a un vrai problème de fond qui me dépasse. J’aimerais bien que des personnes se chargent de ce problème: le gouvernement, les journalistes…

Cette prise de conscience est-elle générationnelle?

Oui parce que les start-up, ce sont surtout des profils jeunes. En général, si j’exagère un peu, le ou la plus âgé·e de la boîte a 32 ans, et n’a pas d’enfant… Les fondateur·rice·s étant jeunes, ils/elles ne connaissent pas forcément leurs droits. Idem pour les employé·e·s, qui sortent souvent d’études et ne sont pas trop en position de force pour imposer leur avis. C’est la porte ouverte aux abus managériaux.

Quelle est la répartition femmes-hommes dans les témoignages que tu reçois?

Je dirais que j’ai 70% des témoignages qui viennent de femmes. On peut faire l’hypothèse qu’elle sont une cible plus facile en entreprise. Il y a aussi pas mal de sexisme et racisme dus à la non-diversité dans le secteur: dans toutes les start-up dans lesquelles j’ai travaillé, les patrons avaient moins de 30 ans, étaient blancs et hétéros et venaient d’un milieu très favorisé… On retombait souvent dans des schémas sexistes, des mentalités peu ouvertes, des blagues pas du tout acceptables, des réflexions du genre: “La Chinoise, il faut la mettre sur la photo pour les quotas.” J’avais parfois l’impression qu’on était dans la continuité des BDE d’écoles de commerce. Mais les violences sexistes restent assez minoritaires dans les témoignages que je reçois: le plus souvent, il s’agit de harcèlement moral et de pression psychologique.

À ton avis, pourquoi la parole ne se libère-t-elle sur ces sujets que maintenant, bien après #Balancetonporc? 

C’est vrai qu’on est dans la prolongation de #MeToo. Les gens ont extrêmement peur de témoigner parce qu’il y a beaucoup d’enjeux. Certains m’envoient des témoignages en me disant de ne pas les publier parce qu’ils craignent qu’on les reconnaisse. C’est un milieu où il arrive qu’on vous menace de vous griller si vous ne suivez pas le droit chemin ou si vous faites remonter des choses qui ne vous plaisent pas. Ce sont des choses que j’ai vécues. Il y a une énorme omerta. Mais le fait que la communauté grandisse les rassure. Je crois que le Covid n’y est pas pour rien dans l’éclosion de ce compte. Les entreprises ont dû s’adapter très vite et beaucoup ont paniqué et fait n’importe quoi au niveau du management, ça a aggravé certaines pratiques.

Quel rôle les réseaux sociaux peuvent-ils avoir dans la dénonciation de ces violences dans le milieu du travail? Quelles sont les limites de l’exercice?

Je dirais qu’on n’a malheureusement trouvé aucun autre moyen aujourd’hui pour que les salarié·e·s puissent s’exprimer et se sentent moins seul·e·s, tout simplement. Je suis la première à dire que la démarche n’est pas parfaite. L’objectif de ce compte n’est pas de dénoncer mais vraiment de libérer la parole des employé·e·s. C’est pour cette raison que j’essaie de le faire avec intelligence et de vérifier les propos: pour publier un témoignage, il faut que la personne puisse me prouver qu’elle travaille dans l’entreprise en question. Le but n’est en aucun cas de faire couler une entreprise qui ne le mériterait pas. Je reçois surtout des témoignages négatifs, mais j’aimerais bien que le compte serve aussi à mettre en avant des démarches positives parce qu’il y a des start-up où le management se passe bien. Je comprends que la question de l’anonymat dérange -j’ai vu des posts de dirigeant·e·s sur LinkedIn dans ce sens- mais ça me révolte quand on dit que ça ne vaut rien si c’est anonyme. C’est faux, il y a des humain·e·s qui souffrent derrière chaque témoignage. C’est parce que c’est grave, parfois dangereux, qu’ils sont anonymes. Et les entreprises ont un droit de réponse. Je n’attends d’ailleurs que ça, qu’elles réagissent. Tout le monde peut prendre la parole.

Peux-tu nous en dire plus sur la composante “conseil” que tu as développée sur ce compte?

On organise tous les jeudis un live avec l’avocate Elise Fabing en recueillant les questions des abonné·e·s en amont sur une thématique précise (Ndlr: Il y a déjà eu un live sur le harcèlement moral au travail et comment se préparer à un licenciement). L’objectif est que les salarié·e·s connaissent leurs droits et sachent ce qu’il est possible de faire selon les situations.

Propos recueillis par Sophie Kloetzli


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